Lettre Ouverte – Modernisation de la loi sur les langues officielles

Lettre ouverte au très honorable Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, à l’honorable Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles, aux honorables sénatrices et sénateurs, aux députées et députés de la Chambre des communes, à l’ensemble de nos partenaires dans le dossier des langues officielles.

Vancouver, le 11 février 2022

Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre des Langues officielles, Mesdames les Sénatrices et Députées, Messieurs les Sénateurs et Députés,

Depuis une bonne décennie, la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (« FFCB ») est impliquée dans une bataille juridique pour faire valoir les droits des francophones à la suite d’une entente de dévolution de responsabilités qui a mené à la suppression des services en emploi offerts par des organismes francophones dans la province.  Suite à l’émoi causé par le jugement néfaste de la Cour fédérale en première instance, la FFCB a porté appel et les organismes de la francophonie canadienne ont longuement échangé sur les moyens de corriger les lacunes du libellé de la Loi sur les langues officielles. En particulier, l’attention s’est portée sur la partie VII et l’obligation des institutions fédérales de prendre des mesures positives pour favoriser l’épanouissement des minorités francophones du Canada et pour appuyer leur développement, ainsi que pour promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. La FFCB a aussi mis l’accent sur l’effet profondément nocif des ententes fédérales-provinciales/territoriales délégant des responsabilités vers les provinces sans prévoir des mécanismes de clauses linguistiques robustes.

Le vendredi 28 janvier 2022, la Cour d’appel fédérale a rendu un arrêt historique en faveur des francophones. Après avoir scruté en détail la preuve mise de l’avant par la FFCB, la Cour d’appel fédérale a ordonné au gouvernement du Canada, en vertu de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles, de « voir à ce que soit reconstitué, dans la mesure du possible, le réseau de services d’aide à l’emploi avec la participation des organismes francophones selon le modèle qui existait avant la signature de l’Entente, en tenant compte des besoins actuels de la minorité linguistique francophone de la C.-B. ». La Cour d’appel explique que « la partie VII exige en effet que les institutions fédérales soient à l’écoute et attentives aux besoins des minorités de langues officielles aux quatre coins du pays et s’interrogent sur l’impact que les décisions qu’elles sont appelées à prendre peuvent avoir sur ces minorités », énonçant ainsi une forme d’obligation de consulter nos communautés.

Il s’agit indéniablement d’une très belle victoire juridique, mais une victoire qui ne repose pas sur des bases suffisamment stables pour tranquilliser les francophones. Le gouvernement fédéral pourrait porter ce jugement en appel à la Cour suprême du Canada, qui pourrait renverser la Cour d’appel. De plus, puisque le recours de la FFCB portait sur l’application de la partie VII dans un contexte très précis (c’est-à-dire l’adoption d’une entente fédérale-provinciale dans le domaine de l’aide à l’emploi sans clause linguistique robuste), l’application du jugement dans d’autres contextes (sa portée dans le domaine de l’immigration ou son utilité afin d’encadrer l’obligation de consulter nos communautés, par exemple), relève de l’argumentaire et exigera probablement des précisions additionnelles de la part des tribunaux à défaut de préciser ces normes dans la Loi sur les langues officielles directement.

Ainsi, il demeure d’une importance fondamentale que le gouvernement fédéral donne pleinement effet à sa promesse de moderniser la Loi sur les langues officielles, incluant sa partie VII, de sorte à lui donner la portée que les communautés d’expression française de partout au pays nécessite.
Les gains devant la Cour d’appel fédérale demeurent incertains et il est donc impératif de consacrer ceux-ci dans une Loi sur les langues officielles modernisées.

Les mots interprétation et l’utilisation du verbe interpréter se retrouvent 36 fois dans ce verdict mettant clairement en évidence la clé de notre problème. Face à ce constat, les francophones en situation minoritaire peuvent-ils se reposer sur leurs lauriers après une victoire de premier abord éclatante? Nous ne le pensons pas. Il apparaît clairement que seule une modernisation de la Loi pourra mettre fin aux querelles d’interprétation qui semblent se dessiner à l’horizon. Pouvons-nous collectivement continuer à argumenter quelles interprétations sont les bonnes? Celles des communautés, celles du commissaire aux langues officielles, celles des fonctionnaires des différents paliers de gouvernement, celles des différentes cours de justice?  Allons-nous devoir remonter jusqu’en cour suprême, un processus long et coûteux, dès qu’il y aura dissensions autour d’une interprétation?
De plus, la cour a spécifié ce qui suit : « Le législateur peut déléguer au gouverneur en conseil (l’exécutif) le pouvoir d’imposer une obligation par règlement, mais ce n’est pas l’approche retenue à la partie VII ». Cet argument va à l’encontre de l’approche proposée dans le projet de loi C-32 qui semblait prioriser les modifications par voie de règlement plutôt qu’une spécification de la loi elle-même. Il est grand temps de mettre fin aux interprétations et de donner un sens spécifique à la Loi sur les langues officielles. Nous vous invitons à nous rejoindre en ce sens, car à long terme, c’est l’avenir de la francophonie canadienne qui est en jeu!

Le jugement de la Cour d’appel fédérale ne constitue pas une victoire sur toute la ligne. En effet, la Cour a conclu que suite à l’adoption de l’entente fédérale-provinciale, le gouvernement fédéral n’avait pas l’obligation de veiller à ce que les services d’aide à l’emploi soient offerts dans les deux langues officielles en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles et de l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés, car selon elle, le gouvernement de la Colombie-Britannique n’agissait pas pour le compte du gouvernement fédéral en mettant en œuvre un programme fédéral dans le cadre de l’entente fédérale-provinciale.
Voici comment la cour clarifie les responsabilités de chacun : « Elle (la province) occupe plutôt de façon exclusive un champ d’activité qui était auparavant partagé avec le fédéral. La dévolution qu’elle opère en faveur de la C.-B. est complète. L’Entente confère à la C.-B. le contrôle exclusif du mode de prestation des services en matière d’aide à l’emploi ». Dans une province, qui n’a toujours pas jugé bon de s’équiper d’une législation linguistique (l’anglais est langue usuelle sans statut officiel) ni d’une politique des services en français, on ne peut qu’être profondément inquiet des conséquences de telles ententes.

Les effets potentiels de cette conclusion pour les services des francophones dans la province et dans le reste du pays sont très inquiétants. Les ententes de dévolution sont presque automatiquement synonymes d’abolition des services. Ainsi, le Parlement devrait prévoir dans la Loi sur les langues officielles une obligation d’inclure des clauses linguistiques robustes dans toute entente fédérale-provinciale/territoriale.

Nous devons mettre à profit l’occasion historique que nous offre la modernisation de la Loi sur les langues officielles afin d’arrimer une bonne fois pour toutes la francophonie au cœur de l’évolution socioculturelle de notre pays. Si le jugement de la Cour d’appel nous met sur la bonne voie concernant la partie VII, il n’a aucune portée sur tant d’autres enjeux visés par la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre des Langues officielles, Mesdames les Sénatrices et Députées, Messieurs les Sénateurs et Députés, nous comptons sur votre appui et votre intervention pour une résolution décisive de ces enjeux dans les prochaines étapes législatives de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Entretemps, nous sommes à votre entière disposition pour de plus amples informations ou pour des discussions plus circonstanciées.

Très sincèrement,

 

 

La présidente du Conseil d’administration
Lily Crist

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